"Israël s'est émancipé de Donald Trump" : pourquoi les frappes sur l'Iran ressemblent à un revers pour le président américain, partisan de négocier avec Téhéran
"Israël s'est émancipé de Donald Trump" : pourquoi les frappes sur l'Iran ressemblent à un revers pour le président américain, partisan de négocier avec Téhéran

« Israël s’est émancipé de Donald Trump » : pourquoi les frappes sur l’Iran ressemblent à un revers pour le président américain, partisan de négocier avec Téhéran

14.06.2025
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Le républicain, dont l’administration cherche un accord avec l’Iran pour restreindre son programme nucléaire, s’était publiquement opposé à de telles frappes jeudi. Il dit aujourd’hui espérer qu’elles forceront les Iraniens à « négocier sérieusement ».

Le président américain, Donald Trump, le 21 avril 2025 à Washington (Etats-Unis). (ANDREW LEYDEN / NURPHOTO / AFP)
Le président américain, Donald Trump, le 21 avril 2025 à Washington (Etats-Unis). (ANDREW LEYDEN / NURPHOTO / AFP)

Il appelle l’Iran à « conclure un accord » sur son programme nucléaire « avant qu’il ne reste plus rien ». Sur sa plateforme Truth Social, vendredi 13 juin, Donald Trump a vivement réagi aux frappes israéliennes ayant visé une centaine de cibles en Iran dans la nuit, parmi lesquelles des installations nucléaires et des sites militaires. « Il y a déjà eu énormément de morts et de destructions, mais il est encore temps de faire que ce massacre, y compris de prochaines attaques planifiées encore plus brutales, cesse », a défendu le président américain, ajoutant avoir « donné à l’Iran opportunité après opportunité de conclure un accord » sur son programme nucléaire.

Selon l’armée israélienne, « le régime iranien avait un plan concret pour détruire l’Etat d’Israël », et Téhéran « s’approchait d’un point de non-retour » en matière d’accès à l’arme atomique. Ses frappes sur le territoire iranien marquent néanmoins un revers pour les Etats-Unis, l’allié historique d’Israël, alors que l’administration Trump tentait depuis deux mois de neutraliser la menace nucléaire iranienne par un accord plutôt que par les armes.

« Je ne veux pas qu’ils interviennent »

Si le président américain salue une « excellente » opération israélienne, « il s’agit du plus grand camouflet connu par Donald Trump au Moyen-Orient depuis son retour à la Maison Blanche », tranche auprès de franceinfo Kevan Gafaïti, spécialiste de l’Iran et chercheur-doctorant en relations internationales à l’université Paris-Panthéon-Assas. « Un accord avec les Iraniens est le plus grand accomplissement que Donald Trump cherchait à obtenir dans la région », souligne-t-il.

La réaction du secrétaire d’Etat Marco Rubio, dans la foulée des frappes, est assez parlante à cet égard. Le chef de la diplomatie américaine a vite évoqué « une action unilatérale » d’Israël contre l’Iran, et rappelé que les Etats-Unis n’étaient « pas impliqués » dans ces attaques. « Notre priorité absolue est la protection des forces américaines dans la région », a-t-il ajouté. 

« Il y a une grande réprobation de ce qui a été fait par Israël, à la fois par Donald Trump et son équipe diplomatique. »

Kevan Gafaïti, chercheur en relations internationales spécialiste de l’Iran

Jeudi, Donald Trump avait clairement exprimé son désaccord quant à l’éventualité de frappes israéliennes. « Nous sommes assez proches d’un bon accord [sur le nucléaire iranien]. (…) Je ne veux pas qu’ils [Israël] interviennent, car je pense que cela ferait tout capoter », a-t-il déclaré à la presse, ajoutant qu’il « aimerait beaucoup éviter un conflit ». Des frappes pourraient éventuellement pousser l’Iran à signer un accord, mais elles pourraient aussi « tout faire échouer », a développé le président américain. 

En avril déjà, le dirigeant populiste avait rejeté un projet de frappes israéliennes sur des sites nucléaires iraniens qui aurait demandé l’assistance des Etats-Unis, rapportait alors le New York Times citant des responsables américains anonymes. Donald Trump avait informé le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, que Washington ne soutiendrait pas un tel choix, préférant lancer des discussions avec Téhéran. 

Au regard des frappes menées dans la nuit de jeudi à vendredi, « Israël s’est émancipé de Donald Trump et des autorisations américaines à intervenir dans la région », analyse auprès de franceinfo Sylvain Gaillaud, chercheur en histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « C’est un revers dans le rapport vis-à-vis d’Israël. La voix américaine pèse de manière relative. » Même si, ajoute-t-il, « Israël peut difficilement faire ce genre de choses sans que les Etats-Unis en soient conscients ».

Une suite incertaine pour les négociations avec l’Iran

Donald Trump a d’ailleurs assuré avoir été informé des frappes imminentes de Tsahal sur des sites iraniens. « L’Iran ne peut pas avoir la bombe nucléaire et nous espérons revenir à la table des négociations. Nous verrons », a-t-il déclaré, en réaction, auprès de la chaîne conservatrice Fox News. Un peu plus tard, interrogé par le site Axios, il a présenté les choses d’une façon plus optimiste : « Peut-être que, maintenant, ils négocieront sérieusement. »

« Les Américains ont beaucoup d’intérêts dans la région. Ils n’ont aucun intérêt à la voir basculer dans un affrontement. »

Sylvain Gaillaud, chercheur en histoire contemporaine, spécialiste de l’Iran

Les efforts diplomatiques du républicain ont aussi une portée plus politique. « Donald Trump n’a pas été élu pour réintroduire les Américains dans un conflit au Moyen-Orient », mais plutôt pour être « un faiseur de paix, et un faiseur de paix rapide », note Sylvain Gaillaud. Dans sa défense de l’art du deal« il veut un accord [avec Téhéran]« , tout comme il a promis d’obtenir un cessez-le-feu entre Kiev et Moscou en Ukraine.

C’est ainsi qu’en avril, Washington et Téhéran ont débuté des pourparlers rares sur le programme nucléaire iranien, dix ans après l’accord conclu entre l’Iran et la communauté internationale sur le sujet. Celui-ci cherchait à empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique, en échange de sanctions économiques levées pour Téhéran. Donald Trump, en se retirant en 2018 de cet accord selon lui « pourri », avait rendu le texte caduc. Il espère en obtenir un nouveau, bien meilleur à ses yeux.

Les premiers échanges entre les deux pays, au sultanat d’Oman, se sont avérés « constructifs », selon les déclarations américaine et iranienne. « Je peux dire que les négociations avancent », a par la suite assuré le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, Abbas Araghchi, à l’issue d’un deuxième cycle de pourparlers le 19 avril. Les discussions « visent à parvenir à un accord équitable, durable et contraignant qui garantira un Iran sans arme nucléaire et sans sanctions, ainsi que le maintien de sa capacité à développer une énergie nucléaire pacifique », a résumé le ministère des Affaires étrangères omanais, sur X. 

« Les Iraniens et Américains n’ont eu de cesse d’échanger et de négocier. Il y a un très haut degré de méfiance, ils se regardent en chien de faïence, mais ils discutent. »

Kevan Gafaïti, chercheur en relations internationales spécialiste de l’Iran

Les négociations devaient se poursuivre dimanche à Mascate, la capitale d’Oman. La suite est désormais plus qu’incertaine, alors que les relations s’étaient déjà tendues ces derniers jours. Téhéran avait multiplié les menaces, prévenant Washington de possibles frappes sur ses bases militaires au Moyen-Orient en cas de conflit et d’échec des pourparlers. L’Iran avait aussi qualifié de« non négociable » la demande américaine d’un démantèlement complet de ses activités nucléaires, y compris civiles. Jeudi, la République islamique avait même annoncé la construction d’un nouveau site d’enrichissement d’uranium, ainsi qu’une hausse « significative » de sa production totale d’uranium enrichi. Des projets sur lesquels les frappes israéliennes auront sans doute des conséquences, encore difficiles à mesurer.

Les efforts diplomatiques de l’administration Trump, et son souhait d’aboutir vite à un deal sur le nucléaire iranien, sont dorénavant en péril. Dans un entretien au New York Post enregistré lundi, le président américain avait admis avoir « bien moins confiance » dans la possibilité d’une issue positive avec Téhéran. « Je ne crois pas voir le même niveau d’enthousiasme de leur part pour passer un accord », a-t-il reconnu. Depuis, les cartes ont encore été rebattues.

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